“Le Mans raconté par”: un commissaire
- Updated: June 14, 2014
Dans le cadre de notre rubrique « Le Mans raconté par », nous n’oublions pas les 1731 commissaires de piste bénévoles qui veillent à la sécurité et au bon déroulement de la course.
Olivier Desne, commissaire depuis 32 ans, officiera à ce poste pour sa 24e édition des 24 Heures du Mans. Devenu fan de sport-mécanique depuis son enfance par son père avec qui il ne manquait pas de regarder la course à la télévision, puis plus tard, d’y aller après son déménagement à Tours. Olivier a eu la gentillesse de nous livrer son témoignage des 24 Heures du Mans en tant que commissaire de piste.
“Mes 24 heures Auto :
En 1991, ma première année (l’année de la victoire de Mazda). A l’époque, le passage obligatoire pour tous les nouveaux commissaires, c’était les Hunaudières. Donc Gérard, mon chef de poste Bugatti, m’a envoyé «en pays de connaissance » auprès d’un de ses amis commissaire au poste 25 au début de la ligne droite Quel visuel pour un petit nouveau, la sortie du tertre rouge et les voitures pleine charge en direction de la première chicane. En 1992 et 1993, le Poste 0 devant les stands. La majorité de l’équipe avec qui j’officiais sur le Bugatti était au poste 0, alors il était normal de les rejoindre. De bons souvenirs aussi avec le côté technique, le point de vue privilégié sur les stands et le boulot énorme réalisé par les équipes. Depuis 1994, le poste 95Bis “L’Entrée d’Indianapolis”en tant que Chef de Poste. Un poste magnifique (peut être un des plus beaux du circuit, pour moi en tout cas), les plus grandes vitesses en entrée et pratiquement les plus faibles en sortie.
Les 24 heures Auto pour nous les commissaires :
En général dans la mesure du possible, cela commence le samedi de la journée Test, arrivée de bonne heure le samedi pour voir de prêt, toutes ces magnifiques voitures que l’on a vue en photos. Et oui, mine de rien ça fait quasiment 1 an depuis la précédente épreuve et l’on est en manque… Le soir, petite soirée avec les personnes présentes de l’équipe et le dimanche matin de bonne heure direction le poste.
On commence toujours par la mise en place du poste (drapeaux, extincteurs, etc…) et la vérification du matériel, ensuite il y a la partie administrative avec le pointage des licences, la découverte des nouveaux et les présentations et ensuite le Briefing du Chef…
C’est le moment, ou je dois retransmettre à mes équipiers les consignes spécifiques reçues de la Direction de Course, répéter les consignes de sécurité, les procédures d’intervention, le briefing avec les conducteurs d’engins, et évoquer des scénarios d’accident et les différentes façons de réagir et d’intervenir, etc… Ensuite c’est la présentation de l’équipe en bord de piste pour le passage du drapeau Bleu-Blanc-Rouge et l’ouverture de la piste. Vient la semaine des 24 heures, les équipiers arrivent en fonction de leur disponibilité dès le mardi ou mercredi et ainsi de suite jusqu’au samedi matin. Ce sont les retrouvailles, entre ceux qui ne viennent qu’une fois par an et ceux qui officient plus régulièrement sur le Bugatti.
Les caravanes, les camping-cars, les toiles de tentes et le barnum s’installent. Le confort est sommaire, (1 ou 2 WC de chantier, de l’eau froide à volonté, un coffret de chantier pour les branchements électriques, 1 douche ”à l’eau froide” est installé dans le bois sous les arbres avec un tuyau d’arrosage et une bâche en guise de paravent. Pour les douches chaudes il faut prendre une voiture et aller à Arnage.)
On retrouve le même protocole chaque jour avec la mise en place du poste, les vérifications des licences, le Briefing. Tout ceci de manière encore plus poussée le samedi matin car toute l’équipe est là. Et puis il y a la traditionnelle photo de l’équipe. Ceux qui n’ont pas encore officier de la semaine, commence en premier pendant les essais et surtout le Warm-Up pour se familiariser avec les voitures et retrouver les sensations et les automatismes.
Pendant ce temps le boulot du chef de poste et de ses adjoints, c’est de faire les équipes et les horaires.
- Environ 36 personnes réparties en 3 équipes qui vont se relayer pendant les 24 heures : 1 faction en ”Poste”.La suivante en ”Réserve”, c’est-à-dire que les équipiers restent en tenue prêt à démarrer au moindre coup de sifflet de l’équipe en poste. Pendant cette période, ils peuvent se restaurer ou se reposer sous le barnum, mais ils doivent rester disponibles. La 3ème en ”Repos”, les équipiers peuvent aller se coucher, se laver, se promener, ils sont libres. On essaye toujours dans la mesure du possible de remplacer un collègue en réserve et qui souhaite aller faire un tour au village, pour profiter de l’ambiance.
- Pour chaque équipe les 2 premières rotations durent 3 heures et la dernière 2 heures. Tout le monde est en poste la première et la dernière heure.
- Chaque équipe se répartie sur les 2 postes de signalisation en entrée de poste et les 2 postes d’Intervention à chaque coin du bac à gravier Toute les heures les 4 postes se décalent a tour de rôle d’un cran, cela évite la lassitude, lorsqu’il ne fait pas beau, ça réchauffe et ça permet de profiter des différents points de vue de notre poste.
- Lors des prises de faction et surtout la nuit, les équipiers montant se retrouvent quelques minutes avant la prise de fonction, pour vérifier que tout le monde est debout, prendre un café, grignoter un morceau et échanger quelques impressions. On essaye d’être toujours au moins 5 minutes en avance pour la relève, cela permet de prendre les consignes et surtout en cas de mauvais temps, il est toujours plus agréable d’être relevé en avance…
Le repas du samedi midi est pris tous ensemble et ensuite les autres au fil des rotations. On a la chance d’avoir avec nous, une équipe d’accompagnant qui s’occupe de toute la partie restauration, de la préparation au service à table, que du bonheur… Ensuite, il y a la course…. Les derniers conseils aux équipiers avant le début de la procédure, vérifié que tout le monde est bien en place pour le départ. Finalement, pour nous au 95 Bis ce n’est pas forcément le premier tour le plus impressionnant. Notre distance par rapport au départ fait que les voitures ont déjà mis un peu d’espace entre elle, ça roule très vite et les voitures sont en bagarre, mais ce n’est quand même pas, je pense la pression du premier tour à la Dunlop. Mon moment préféré pendant les 24 heures ? Sans doute les 24 heures, mais bon si je dois en choisir un, je dirais quand le soleil se lève sur le circuit, quand on est en poste et qu’il fait beau, c’est un moment magique. Le ciel prend des couleurs magnifiques, les voitures souvent alignent des chronos de folie au petit jour… Dans ces moment-là, on ne ressent même plus la fatigue
Des anecdotes :
Bien sûr il y en a des tas, comme les bons et les mauvais souvenirs liés à cette course si difficile. Pour en citer un, je dirais lors de la Journée Test de l’édition 2004, le damier était tombé sur les premières voitures et devant nous passait encore des concurrents en pleine bagarre avec le chrono. Quand arrive une Ferrari 575 GTC à notre poste à pleine charge. Celle-ci éclate un pneu juste avant la courbe à droite (les LMP1 y passent à 270 Kms/h) et traverse le bac à graviers avant de s’immobiliser à quelques centimètres du mur de pneu qui protègent les rails au fond de celui-ci.
Le pilote John BOSCH sort seul de sa voiture, indemne physiquement. mais pas nerveusement. Lorsque je me rapproche de lui pour prendre de ses nouvelles, il est livide, totalement effrayé par ce qu’il vient de vivre. Il m’explique qu’à cet endroit le freinage c’est hyper vite (environ 280 à 300 Kms/h selon lui) et qu’il ne faut surtout pas sortir. Enfin, après quelques minutes et une bouteille d’eau, le stress retombe et alors que l’on attend le dépanneuse pour sa voiture et lui, il nous dit qu’il a un avion à prendre dans 30 minutes et qu’il ne peut le rater… Bien entendu, les différents véhicules de direction de course sont déjà passés et il n’y a personne pour venir le chercher, quand arrive par la piste une petite Clio de la Gendarmerie avec 3 gendarmes à son bord. On lui fait des grands signes et on court en bord de piste, la Clio s’arrête et on demande aux gendarmes s’ils peuvent rendre service au pilote pour qu’il ne rate pas son avion. Et c’est comme cela que John BOSCH a abandonné sa belle Ferrai rouge et a terminé son dernier tour Chrono accompagné de 3 gendarmes dans une petite Clio bleu Gendarmerie….
Nous n’avons jamais su, s’il avait réussi à avoir son vol. Et heureusement pour lui nous ne l’avons pas rencontré de nouveau lors de la course.”